LA JEUNESSE DU MAÎTRE NGUYỄN ĐỨC MỘC AU VIETNAM

Le maître Nguyễn Đức Mộc est né en 1913 à Bắc Ninh dans le Nord du Vietnam.

Le Vietnam est alors occupé par la France. Il est divisé en trois parties : au Nord le Tonkin, au centre l’Annam et au Sud la Cochinchine qui constituaient ensemble, avec le Laos et le Cambodge, l’Indochine.

Son grand père était un des lieutenants du célèbre général Hoàng Hoa Thám surnommé « le tigre sacré du Yên Thế » qui lutta durant trente ans contre les occupants. Toute sa famille était engagée dans la lutte anti coloniale.

A l’époque, le gouvernement en place interdit la pratique des arts martiaux (Võ Thuật), cependant de nombreux villages contournent cette interdiction en organisant des joutes comme les combats avec de longues perches, facilement transformable en lances, ou en se cachant derrière une haie de bambou qui entoure les villages, dans des forêts, sur des collines, ou encore en s’immergeant dans des rizières ; on parle communément du « Võ des jardins ».

De fait, l’étude du Võ était une pratique séculaire et dans chaque village se trouvait un ou plusieurs maîtres chargés d’en assurer la sécurité. Cette tradition des paysans soldats ou d’armée populaire est l’un des aspects important de la culture et de l’identité vietnamienne. Elle a permis au pays de lutter durant des siècles contre les envahisseurs et pratiquement tous les grands héros populaires du Vietnam sont des maîtres de Võ. C’est aussi la raison pour laquelle il existe tant d’écoles de Võ au Vietnam et tant de diversité dans les techniques, selon la géographie, le climat, les outils utilisés dans les différentes régions.

Master

Dans sa prime enfance, le maître Mộc apprend tout d’abord avec son père et son oncle le Võ de son village natal. Son caractère volontaire et indépendant s’accorde parfaitement avec cette activité. Il jouit d’une grande liberté et mène une vie simple avec ses frères et sœurs. Il aide à l’exploitation fruitière familiale tout en explorant la nature. Il chasse, il pêche et aime se confronter avec les autres enfants... cette jeunesse saine lui donne une forte constitution physique.

En parallèle, le jeune Mộc poursuit une formation classique à la pagode Ham Long située à quelques kilomètres de son village, étudiant la calligraphie et le Vō Bắc Ninh. Il s’entraîne quotidiennement avec son grand frère Nguyễn Đức Chi et montre rapidement une grande virtuosité pour cet art.

Au Nord Vietnam, la misère et la famine poussent des bandes de brigands à attaquer les villages isolés pour piller les récoltes. Un jour, alors que tous les adultes sont occupés aux champs, Mộc et ses frères, à grand coups de jets de pierres, repoussent une bande de pillards qui tentaient de s’en prendre au village.

Encouragé par son oncle maternel, à l’âge de 15 ans il devient l’élève du maître réputé Hoàng Hoa Ba, un médecin traditionnel sino-vietnamien qui a étudié le style Shaolin Chuan en Chine à la pagode Mã Dong Cuong. A cette époque, l’étude du Võ n’est pas structurée par des jours et des horaires précis de pratique. Les élèves suivent et vivent avec le maître, ils le servent et en retour il leur enseigne le Vō. Parfois ils retournent à la maison pour aider la famille aux travaux des champs ou pour les fêtes. Le maître Hoàng Hoa Ba a sept disciples dont Đức Mộc et Đức Chi. Le maître Ba enseigne dans la forêt ou sur la montagne Sơn Hoàng Long « Montagne du Retour du Dragon » qui sera en partie à l’origine du nom de l’école du maître Mộc. Il n’a que quelques disciples, il pratique la médecine traditionnelle et fabrique des médicaments à base de plantes et de racines.

DÉPART POUR LA FRANCE ET NAISSANCE DE L’ÉCOLE SLQT

En 1939, Nguyễn Đức Mộc est enrôlé dans les forces d’outre-mer de l’armée française, car la France, qui subit de plein fouet l’offensive allemande, recrute massivement dans ses colonies. A l’instar de l’Afrique, le Vietnam et en particulier le Tonkin, doit fournir des troupes pour participer au conflit en Europe, et ce sont les paysans pauvres incapables d’acheter la liberté de leurs enfants qui payent en nature.

Le maître Mộc est désigné par sa famille à la place de son frère aîné qui doit rester auprès des tombeaux des ancêtres, mais c’est aussi un moyen d’éloigner le jeune aventurier du village où ses actions téméraires l’exposent dangereusement. En effet, son clan est suspecté, à juste titre, de sympathiser avec le mouvement de libération et le jeune Mộc se montre un peu trop impétueux.

Mộc participe à la Seconde Guerre Mondiale avec les troupes de tirailleurs indochinois et, après bien des péripéties, il débarque en Afrique où il rejoint les troupes fidèles à De Gaules qu’il accompagne jusqu’à l’armistice. Il découvre alors un autre monde, d’autres cultures et d’autres coutumes. En principe, son absence ne doit durer que deux ans. Toutefois, ce n’est que 35 ans plus tard qu’il retrouvera sa terre natale.

A la libération, il devient ouvrier à l’usine Renault. Il étudie et teste toutes les formes d’arts martiaux qu’il rencontre : la lutte, le catch, la boxe et le judo. Il pratique seul et n’enseigne qu’à des Vietnamiens ou à des membres de sa famille. Il soutient le mouvement de libération du Vietnam mais il n’a pas le projet de créer une école.

A l’usine Renault, un maître vietnamien qui enseigne le Vật (lutte) se fait défier par un judoka et meurt des suites d’un étranglement. Un article paraît dans le journal affirmant qu’il n’existe pas de réel art martial viet. A la même période, le maître Mộc est pris à parti par un groupe de quatre ou cinq hommes très agressifs dans son atelier. Il parvient à tous les vaincre devant ses camarades de travail subjugués par sa rapidité et son aisance. Suite à ces deux évènements, le maître Mộc accepte d’enseigner son art au public.

Face au conflit qui oppose les partisans de Hồ Chí Minh qui a proclamé l’indépendance du Vietnam en 1946 et les Américains qui progressivement occupent le pays par crainte d’un bloc communiste trop puissant (guerre du Vietnam), le maître Nguyễn Đức Mộc va orienter politiquement son école vers le soutien d’oncle Hồ.

En 1957, il fonde la Fédération Française de Võ-Việtnam alors qu’officiellement le Vietnam n’existe plus pour l’Occident. Seules les puissances communistes (Chine et URSS) reconnaissent sa légitimité. Ce choix affirme non seulement qu’il existe un art martial vietnamien, mais également que le Vietnam est une nation. Il nomme alors son école « Sơn Long Quyền Thuật » (école de combat de la Montagne du Dragon) et chaque élève doit signer un engagement de soutien pour la paix au Vietnam.

Mộc organise de nombreuses démonstrations à la sortie de l’usine sur l’île Puteaux. Il participe aux manifestations anti colonialistes et assure la protection des délégations vietnamiennes qui viennent négocier les accords de paix à Paris. Son école grandit et se développe : tout d’abord en région parisienne puis dans toute la France où il compte plusieurs milliers d’élèves.

A la fin de la guerre du Vietnam, l’école Sơn Long Quyền Thuật (SLQT) cesse toute activité politique et ne se consacre plus qu’à l’étude de l’art martial.

NAISSANCE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE (FIVV)

Certains élèves du maître Mộc partent à l’étranger et y fondent des sections : en Algérie, aux USA, en Suisse, puis au Burkina Faso, en Autriche, en Allemagne et en Belgique. Le maître fonde la Fédération Internationale de Võ-Việtnam (FIVV) dont le siège actuel est en Suisse.

La maxime du SLQT est : sport, culture amitié.

Le maître Mộc a su adapter son programme et sa méthode d’enseignement en fonction du caractère et de la mentalité des occidentaux. Il en résulte un style épuré, d’une efficacité redoutable. L’idée centrale du SLQT en combat est de tenter de briser les membres inférieurs et supérieurs de l’adversaire afin de le priver de ses armes naturelles. Cette tactique particulière permet d’affronter tout type de combattant. On retrouve cette stratégie dans de nombreux styles vietnamiens car les Viêts, de constitution plutôt fine, ont eu à affronter tout au long de leur histoire de nombreux adversaires plus robustes tels que les Chinois, les Mongols, les Japonais, les Français, les Américains, etc. ...

Le SLQT, selon maître Mộc, est une école de pratique et non de théorie. Il fonctionne selon les règles ancestrales des écoles traditionnelles. Il y règne une ambiance familiale et solidaire où il n’y a pas de compétition même si l’on y étudie le combat.

Le Đạo đức (la moralité) de l’élève importe plus que sa virtuosité, et le maître en tient compte lorsqu’il octroie des grades.

Selon le maître, chacun est important et peut apporter quelque chose. Plus le pratiquant prend du grade et plus il doit s’impliquer dans la vie de l’école. Le maître montre l’exemple : il est le premier levé, le dernier couché, il est attentif à tous les détails et au bien-être de chacun. Il parle peu mais il agit beaucoup, renonçant à tous les honneurs et faisant fi de son confort ou de ses intérêts personnels, pour, je cite : « faire comme tout le monde ».

La FIVV compte parmi les écoles vietnamiennes internationales majeures. Le maître Mộc a formé des milliers de disciples et il a enseigné inlassablement jusqu’à la fin de sa vie. Il a effectué de nombreux voyages au Vietnam qui ont permis à l’école SLQT de rester immergée dans la terre natale du Võ, en particulier dans la province de Bình Định, haut lieu du Vō au Vietnam.

Il a reçu la médaille du mérite national des combattants à l’étranger du gouvernement vietnamien en reconnaissance de ses actions et de son engagement pour la libération du pays.

Certains de ses élèves ont choisi de créer leur propre école, cependant, le maître Mộc n’a jamais reconnu que la Fédération Internationale de Võ-Việtnam dont il fut président jusqu’à sa mort. Il a nommé officiellement une commission technique pour lui succéder et continuer le développement de la FIVV. Ce groupe international est constitué des disciples proches du maître issu de toutes les générations qu’il a formées.

CONCLUSION

C’est au Vietnam, au village de Bò Sơn dans le district de Bắc Ninh, où reposent les membres de sa famille que, selon sa dernière volonté, la FIVV a déposé ses cendres et créé un tombeau ainsi qu’un autel de culte, face aux rizières où il a grandi. Une importante délégation internationale l’a accompagné dans cet ultime voyage pour lui rendre hommage en présence des autorités et des maîtres du Vietnam.

Depuis 2017, le Sơn Long Quyền Thuật est à nouveau enseigné au Vietnam avec l’appuis et la bienveillance des maîtres et des écoles du pays qui considèrent le maître Mộc comme l’un des patriarches de l’art martial vietnamien.

Le parcours de cet homme, d’une modestie et d’une simplicité exemplaire, incarne parfaitement l’esprit du Võ qui est bien plus qu’un simple art martial ; c’est un art de vie. Le maître Mộc a laissé derrière lui des milliers d’enfants qu’il a patiemment éduqué et forgé à devenir des hommes ; ses élèves reconnaissants se souviennent :

« La voie de la vertu est notre fondement. Loyauté, civilité, sagesse sont nos guides. »